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Conques - Ostensions entre ombre & lumière

Ce rendez-vous avec Conques n’a pour moi rien d’anodin, puisqu’il y a précisément un demi-siècle, c’est dans ce haut lieu que j’entrai en photographie sans le savoir, en envoyant maladroitement au sol un gadget photographique que je venais de gagner. Simple précurseur du " jetable " mais prototype élaboré du " cassable ", ce jouet de bakélite ne résistât pas à sa chute. Seule une petite photo à demi voilée prise par mon père, et qui révèle ici ma présence en culottes courtes, survécut aux maléfiques aléas de la lumière. C’est ainsi que je fus confronté pour la première fois à l’imposture de la trace " photo -graphique ", au basculement du jour dans le règne des ténèbres et au virement du positif en négatif, à moins que ce ne soit le contraire !

 

Car la matière noire de mes photographies n'est pas de même nature que l'obscurité physique, simple absence de lumière. C'est elle au contraire qui détient l'information lumineuse et c’est dans cette substance magiquement opacifiée que j’accède aux arcanes de la création. Alors, vu que le processus photographique n’est qu’une promesse d’image à l’épreuve de la lumière, pourquoi ne pas user, voire abuser, de la puissance tactile du médium argentique pour engendrer cette fragilité furtive du monde pressenti. Somme toute, ce que je cherche à offrir au terme d'un long et ténébreux cheminement n’est qu’une œuvre de toutes les tensions avec sa part de certitude et de hasard, fort heureusement habitée des mystères qui la débordent.

 

Ces tirages d'intense saturation où la matière fait sens, sont donc le résultat d’une approche esthétique apte à amener le fond à la surface et dont le noir profond n’est que la trace tangible. À l’heure où le pixel devient l’élément géniteur des images à venir, par cette écriture révélée sur le papier sensible, les photographies du sublime site de Conques resteront pour leur auteur le témoignage d’une charge émotionnelle décisive, qu’elles invitent à la découverte ou à la méditation. Certes plus propices à la réflexion qu’à la " re-connaissance ", ces ostensions photographiques entre ombre et lumière, contraste et harmonie, métaphore et utopie, donneront peut-être aux lieux sortis de l’ornière documentaire, une autre raison d’être, une seconde réalité.

Jean Cazelles - décembre 2006

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